Les risques cyber et ESG sont à l’origine d’un nombre croissant d’actions en justice et de litiges à l’encontre des entreprises et de leurs conseils d’administration. Malgré une tendance à la baisse, les actions collectives en matière boursière restent un phénomène important aux États-Unis.Dans ce contexte, le marché de l’assurance RCMS connaît une évolution favorable aux acheteurs, mais l’inflation et l’environnement des risques limitent l’assouplissement des taux.

Quels sont les principaux facteurs déterminant les risques qu’une entreprise et son conseil d’administration soient poursuivis par des groupes d’investisseurs ou autres parties prenantes en 2023 ? Une mauvaise performance financière, voire un état d’insolvabilité en période d’incertitude économique et de possible récession mondiale, la faiblesse des procédures de cybersécurité et de gouvernance, ou encore l’absence de mesures appropriées ou la non-conformité aux critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) : tels sont les principaux risques en assurance responsabilité civile des mandataires sociaux (RCMS), selon Allianz Global Corporate & Specialty (AGCS). Malgré une tendance à la baisse, les actions collectives en matière boursière exercées aux États-Unis, concernant en particulier les fusions, restent une préoccupation majeure. Parallèlement, les sociétés et les plateformes de cryptomonnaies font l’objet d’un nombre croissant de litiges, indique le rapport annuel d’Allianz sur l’assurance responsabilité civile des mandataires sociaux.

Pour Vanessa Maxwell, directrice mondiale des lignes financières chez AGCS, « la récente baisse du nombre d’actions collectives en matière boursière intentées aux États-Unis, associée à l’afflux de nouveaux entrants, a créé des conditions plus favorables aux acheteurs d’assurances RCMS, après une augmentation à deux chiffres des primes en pourcentage sur les principaux marchés en 2021. Toutefois, les assureurs demeurent confrontés à de nombreux risques, face à la menace d’un ralentissement et de difficultés macroéconomiques. Ces conditions conduisent généralement à une hausse de la sinistralité en assurance RCMS. L’inflation pourrait aggraver la tendance, en raison de sinistres plus onéreux. Les risques cyber restent élevés et leur suivi est désormais considéré comme une obligation essentielle des mandataires sociaux, dont le comportement est examiné à la loupe. Par ailleurs, la non-conformité aux critères ESG, comme l’absence de mesures appropriées en matière de changement climatique, de diversité ou d’inclusion, peut devenir un risque important en assurance RCMS. »

De la crise énergétique à la volatilité des marchés boursiers : un contexte économique sombre

Dans de nombreux pays, les perspectives économiques pour 2023 sont plombées par l’augmentation du risque de récession. La chute de la croissance, la hausse de l’inflation, la crise de l’énergie, la volatilité persistante des marchés boursiers et les tensions sur les chaînes d’approvisionnement sont suivies de près par les souscripteurs d’assurance RCMS. En effet, elles pourraient entraîner une réduction de la liquidité et de la rentabilité dans de nombreux secteurs, ainsi qu’une hausse des défaillances d’entreprises.

La moitié des pays analysés par Allianz Research ont enregistré une augmentation à deux chiffres des défaillances d’entreprises au premier semestre 2022. Le secteur des PME représente les deux tiers de cette hausse au Royaume-Uni, en France, en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse. En 2023, les défaillances devraient augmenter de 19 % dans le monde. Or, un ralentissement économique aggrave généralement les risques de sinistres en assurance RCMS : une étude du courtier Marsh montre qu’entre 2005 et 2007, la société a enregistré entre 200 et 300 demandes d’indemnisation en moyenne au Royaume-Uni. Avec la crise financière, les demandes d’indemnisation ont augmenté de 75 %, pour s’établir à environ 500 en 2008, avec un maximum à plus de 1 600 en 2012. Aux États-Unis, le nombre d’actions en justice et de sanctions réglementaires, un indicateur de la fréquence des sinistres, a doublé pour atteindre un pic de plus de 2 000 en 2011 (contre environ 1 000 en 2006), selon Advisen.

« La probabilité qu’une entreprise cotée fasse l’objet d’une action collective en matière boursière augmente lorsque ses performances financières sont médiocres, que son cours en Bourse baisse ou qu’il existe un risque d’insolvabilité. Dans ce type de scénario, les investisseurs peuvent avancer que l’entreprise ne les a pas informés des difficultés qu’elle rencontrait pour maintenir ses prévisions de bénéfices, ce qui entraîne une augmentation des risques de sinistres en assurance RCMS », explique David Van den Berghe, directeur mondial des institutions financières chez AGCS.

Responsabilités en matière de risques cyber et ESG

La sécurité des données et la protection des informations sont désormais des questions essentielles à suivre par les administrateurs, selon le rapport d’AGCS. Les investisseurs estiment de plus en plus souvent que la gestion des risques cyber constitue l’une des principales responsabilités des conseils d’administration en matière de contrôle des risques. En tant que mandataires, les administrateurs sont donc tenus de définir et de respecter certaines obligations concernant la sécurité informatique avant, pendant et après tout incident cyber. Toute inaction invoquée peut être considérée comme un manquement.

 

« Dans le monde entier, des administrateurs ont déjà été tenus pour responsables, notamment dans le cadre d’actions exercées à titre social ou à titre personnel, pour défaut de gouvernance et de protection contre les risques cyber. En outre, des violations de données majeures subies par des entreprises cotées ont entamé la confiance des investisseurs, provoquant une chute des cours et constituant ainsi des ‘‘événements indésirables’’ pouvant, à leur tour, donner lieu à de coûteuses actions collectives en matière boursière. Les conseils d’administration doivent donc concevoir et mettre en place une structure de gestion des risques cyber couvrant l’ensemble de leurs organisations », indique Rishi Baviskar, responsable mondial des experts en cybersécurité d’AGCS Risk Consulting.

Les risques de sanctions réglementaires ou d’actions en justice liées aux critères ESG constituent une autre préoccupation majeure pour les conseils d’administration. En raison du durcissement des obligations d’information et de divulgation, l’absence de mesures appropriées ou la non-conformité ESG peut déclencher un sinistre. Les entreprises et leurs conseils d’administration font également face à la perspective d’une augmentation des litiges intentés par des associations de défense de l’environnement ou du climat, des investisseurs activistes ou même leurs propres salariés. Le contentieux du changement climatique est en hausse, avec plus de 1 200 actions exercées dans le monde au cours des huit dernières années, contre un peu plus de 800 entre 1986 et 2014. La plupart sont intentées aux États-Unis, mais de plus en plus d’affaires sont portées devant des juridictions internationales : l’année 2021 a enregistré le nombre annuel le plus élevé d’actions en dehors des États-Unis. Autre risque, la déclaration trompeuse de bonnes pratiques écologiques –dite écoblanchiment– peut également exposer à des sanctions réglementaires, actions en justice et autres poursuites de la part des actionnaires.

« Les informations relatives aux questions ESG sont devenues un point de contrôle essentiel pour les assureurs, lors de l’évaluation des risques. Les entreprises disposant d’un cadre et d’une gouvernance solides dans ce domaine trouveront plus facilement des assureurs souhaitant leur offrir une capacité », explique Vanessa Maxwell.

Contentieux sur le marché américain

Les risques de litiges sont particulièrement élevés pour les entreprises ayant leur siège ou leur activité aux États-Unis, où les actions en opposition contre des fusions restent nombreuses. Certes, la fréquence des actions intentées aux États-Unis a diminué depuis 2019 et cette tendance à la baisse devrait se poursuivre en 2022. Cependant, le montant total des indemnités en cause a grimpé en flèche. Sur l’ensemble des affaires, la valeur des pertes déclarées par les investisseurs n’a pas augmenté. Mais certains sinistres très importants, survenus en 2022, ont représenté une part disproportionnée des pertes déclarées par rapport aux moyennes historiques des vingt dernières années. Selon Cornerstone Research, les actions exercées contre trois entreprises du secteur des communications équivalent, en montant d’indemnisation réclamé par les investisseurs, à la totalité des actions collectives en matière boursière intentées en 2021.

Hausse des litiges liés aux cryptomonnaies

Autre tendance nouvelle, l’augmentation des actions visant des sociétés et des plateformes de cryptomonnaies (10 au premier semestre 2022 contre 11 pour toute l’année 2021, 13 en 2020 et 4 en 2019). Ce phénomène n’est guère surprenant et s’explique par deux raisons. D’abord, les récentes fluctuations des cours des monnaies numériques se sont poursuivies en novembre 2022, avec l’effondrement de FTX, la deuxième plus grande plateforme de cryptomonnaies. Les autorités du monde entier enquêtent d’ailleurs sur de possibles infractions à la législation boursière. Enfin, la surveillance des autorités de régulation s’est renforcée.

Emmanuel Mayega
A propos de l'auteur

Directeur de la rédaction et de la publication du magazine Assurance & Banque 2.0 et de ce site, Emmanuel a une connaissance accrue de l’intégration des technologies dans l’assurance, la banque et la santé. Ancien rédacteur en chef de ce magazine, il a pendant plus d'une décennie été rédacteur en chef adjoint d’Assurance & Informatique Magazine. ll est un observateur affûté du secteur. Critique, il se définit comme esprit indépendant et provocateur, s’il le faut.

Site web : http://www.assurbanque20.fr

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