De mémoire de navigation à vue, on n’avait jamais vu cela ! Dix ans, mois pour mois presqu’après son lancement dans le cadre de la loi réformant l’assurance maladie du 13 août 2004, ce… Dossier Mal Préparé (DMP) est au milieu du gué. Malgré les engagements des ministres de la Santé successifs à en faire finalement un véritable outil au service de la coordination des soins. De qui se moque-t-on ?
Je ne l’oublierai jamais. Devant moi, Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, s’engageait « personnellement à mettre le projet DMP sur les rails au plus tard fin juillet 2007». Sept ans après, ce Dossier Mal Préparé est toujours dans la nasse. Entre-temps, plusieurs ministres ont repris le flambeau. Des femmes, surtout : Roseline Bachelot-Narquin et, depuis, Marisol Touraine. A chaque fois, la même rengaine, en substance : vous verrez, cette fois-ci est la bonne, le DMP va enfin être généralisé. Et à chaque fois, le monde médical y croit. Ne cherchez surtout pas à vous singulariser en dénonçant les ratés de ce programme ambitieux. Vous serez traité d’oiseau de mauvais augure. Le hic est que ces pauvres ministres y croient eux-mêmes au début. Puis finissent par s’en aller, laissant la patate chaude au prochain. Ce manège pourrait même finalement faire l’objet d’une pièce de théâtre à rebondissement. Comédie ? Celle d’un pouvoir incapable de conduire des projets sociétaux pourtant susceptibles d’assainir nos finances et en l’occurrence, à contribuer à la rationalisation des dépenses de santé et à une meilleure prise en charge du patient. Plutôt un mélodrame. Mélodrame sur un air de valse russe. Un pied en avant, deux en arrière. Ceux de Marisol Touraine qui, depuis son arrivée aux affaires, s’emploie à remettre sur les rails (encore), ce projet qui aura coûté jusque-là un peu moins de 100 millions d’euros, au bas mot. Ceux qui contestent ce chiffre devraient se rappeler que le manque à gagner n’y est pas pris en compte. Et pan ! A ce tarif-là, le dossier patient est plutôt une affaire de luxe alors même qu’il devrait s’agir d’une solution populaire.
En décidant de re-re-relancer ce serpent de mer, la ministre de la Santé, qui avait annoncé un DMP de deuxième 2G (deuxième génération) y introduit une nouveauté. De taille. L’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip santé), créée en 2009, en serait dessaisie. Notez que cela peut résonner comme un coup de grâce pour une structure qui a perdu son éminent patron en novembre dernier et dont le poste reste bizarrement vacant. Le repreneur tout indiqué porte pour nom l’Assurance maladie. Il fallait y penser. Dix ans pour arriver à une telle trouvaille. Pourquoi ce choix ? Dans les couloirs du ministère, on nous parle du professionnalisme de cet organisme, de son maillage territorial et de ses relations privilégiées avec les professionnels de santé. Pourquoi pas ? Ayant attendu dix ans et perdu plus de 100 millions d’euros, le contribuable peut encore espérer, surtout qu’on lui promet que cet outil sera orienté vers la prise en charge de la personne âgée qu’il sera de plus en plus.
Quoi qu’il en soit, qu’importe la couleur du chat … vous maîtrisez le dicton. Alors, encore un peu de patience et le DMP deviendra un Dossier bien préparé (DBP). En attendant, son P ne devrait plus se décliner en personnel mais en partagé. Partagez-vous ce détail qui ne change en rien l’avenir de notre système de santé marqué par le net désengagement de cette Cnam et les difficultés des populations fragiles à se soigner ? Je vous épargne la réponse à cette interrogation car je me suis fait mon opinion. Pour une fois, je ne la partage pas.
Emmanuel Mayega
Rédacteur en chef
