Depuis des décennies que l’on en parle ici et là, cette pratique innovante de la médecine peine à se généraliser. Comment l’expliquer alors que la désertification médicale est bien réelle dans le pays et que les expérimentations sont matures ?

Paradoxal. Nous sommes généralement les premiers à oser l’innovation dans bon nombre de domaines. Après avoir raillé notre Internet à la française qu’était le Minitel, les Américains et le reste du monde ont fini par nous suivre, même si dans la pratique les deux technologies sont très différentes. Pour autant, constatons-le avec regret et amertume, nous n’avons pas su transformer l’essai en allant un peu plus loin, c’est-à-dire vers une technologie plus ouverte et adossée à un modèle gratuit. Le résultat est là, concret : Le Net n’est pas une trouvaille française. Pire, le pays a eu du mal à l’adopter comme le prouve le rapport historique de bon nombre d’entreprises, assurances et banques comprises, à cette architecture.

Sur le terrain de la télémédecine, nous n’avons pas été les pionniers. Certes. Le pays est pourtant engagé dans des expérimentations en la matière depuis plusieurs décennies. Des essais du Pr Lareng, reconnu comme père de la télémédecine française, entre Toulouse et Nouméa, aux multiples microprojets testés ici et là, le temps a passé. Sans que l’opérationnel prenne le pas sur la gesticulation. Le gouvernement Fillon avait alors décidé d’en finir avec ces essais grandeur nature et de passer à la vitesse supérieure. A coup d’auditions et de rapports, on est arrivé à se dire que la télémédecine allait finalement être mise sur les rails. Chou gras. Ghislaine Alajouanine, présidente du Haut conseil en Télésanté/eSanté et « mère » de la télémédecine, a beau rappeler que « la maison brûle », rien n’y fait : on tourne en rond. Comment redémarrer encore et encore ? Sa volonté en bandoulière, elle hante les couloirs des colloques et autres séminaires pour sensibiliser, éveiller, gronder même, quand il le faut. Sa dernière action en date, un appel solennel au président de la République pour faire changer la donne : « La révolution du soigner, c’est maintenant », enjoint-elle l’hôte de l’Elysée.

Comment en est-on arrivé là ? Dans notre pays, chacun essaie dans sa chapelle, sans vouloir mutualiser son expertise avec les voisins. Résultat : un morcellement de micros-projets incapables de vivifier un écosystème industriel apte à accompagner le pays dans cette mutation incontournable de la télémédecine. Il faudra certainement initier de grands projets pour faire concourir des fournisseurs nationaux exsangues face à leur alter ego européens souvent historiquement financés par les pouvoirs publics quand chez nous c’est l’inverse qui se produit : on demande aux éditeurs de mettre la main à la poche en attendant les retombées d’une montée en puissance qui ne vient pas. Autant dire que la mort rode incessamment autour d’eux.

Parallèlement à cette faiblesse… organisée du tissu industriel, se pose le problème de la rémunération des professionnels de la santé. Les ENMR (Expérimentation de nouveaux modes de rémunération) constituent une première approche éphémère car reconduite in extremis dans le PLFSS 2014. Rien ne dit qu’elles seront maintenues en 2015. Comment voulez-vous encourager les professionnels de santé à se mobiliser pour la cause de la télémédecine si vous leur demandez de travailler pour le roi de Prusse ? Marisol Touraine, à vous de trancher, et pour l’industrie et pour le nerf de la guerre. Vous aurez en prime le mérite historique d’avoir donné le coup d’envoi à la généralisation de la télémédecine en France. Ce n’est pas rien. Au-delà de l’ego, vous ouvrirez la porte à une pratique profitable à toute la nation.

Emmanuel Mayega
Rédacteur en chef

Emmanuel Mayega
A propos de l'auteur

Directeur de la rédaction et de la publication du magazine Assurance & Banque 2.0 et de ce site, Emmanuel a une connaissance accrue de l’intégration des technologies dans l’assurance, la banque et la santé. Ancien rédacteur en chef de ce magazine, il a pendant plus d'une décennie été rédacteur en chef adjoint d’Assurance & Informatique Magazine. ll est un observateur affûté du secteur. Critique, il se définit comme esprit indépendant et provocateur, s’il le faut.

Site web : http://www.assurbanque20.fr

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