CAPA Conseil : La perte d’autonomie a été largement évoquée dans la cadre de la réforme de la dépendance, en 2011. Des groupes de travail ont rendu des travaux mettant en exergue l’isolement des personnes âgées et donc la perte du lien social ; le projet que vous avez porté fait écho à ces réalités. Pouvez-vous expliquer le contexte de 4S ?

Daniel Benchimol : La santé des Niçois et le bien-être des seniors sont des objectifs prioritaires de la politique du Maire de Nice. Le projet est né du constat que les seniors peuvent vivre plus longtemps et en meilleure santé s’ils conservent des liens sociaux et s’adonnent à une plus grande activité physique. Ce sont les principaux besoins auxquels ce projet entend répondre.

L’hypothèse avancée est qu’un environnement de dimension humaine offrant la possibilité de se déplacer dans des espaces sécurisés, proches et familiers, est un facteur favorable à la marche et à l’activité physique chez les seniors sédentaires, et que l’engagement dans de telles activités est par ailleurs favorisé par un coaching personnalisé. Le citoyen a occupé une place prépondérante dans la mise en place du projet : des entretiens ont été organisés avec des associations et des commerçants du quartier et plusieurs focus groupes avec des personnes âgées ont permis d’identifier les obstacles physiques et individuels à la pratique de la marche. Notre projet final s’appuie sur les propositions de parcours formulées par les participants.

C. C. : Quelle est la démarche à la base de l’élaboration de ce parcours de santé et les différents acteurs sollicités ?

D. B. : Sur le Projet 4S, la mairie de Nice travaille de pair avec l’Espace Partagé de Santé Publique (EPSP). Il regroupe différents acteurs : la Mairie, le CCAS, la Communauté d’Agglomération Nice Côte d’Azur, le Département de Santé Publique du CHU et son service de Gériatrie, le Laboratoire Motricité Humaine et Education Santé de l’Université de Nice. Cette structure joue un rôle de soutien méthodologique dans la mise en place du projet. Le tracé du parcours de marche, une fois les consultations citoyennes réalisées (cf. ci-dessous), a été validé par les membres de l’EPSP mais aussi par les techniciens et ingénieurs du Plan de mise en Accessibilité de la Voirie et des aménagements des Espaces publics (PAVE) de Nice. Cela a donc permis un travail en collaboration entre les élus, les fonctionnaires municipaux (urbanistes, ingénieurs, personnes chargées de l’entretien des infrastructures et de la sécurité), les représentants de la santé publique et la population elle-même.

C. C. : Les seniors de la ville de Nice ont-ils été associés au Projet 4S ?

D. B. : Ce chantier repose sur une démarche de proximité plaçant les seniors autonomes et sédentaires du quartier au centre de sa préoccupation (organisation de Focus groupes). Ces groupes de discussions ont permis de mieux comprendre le comportement des seniors lié à l’activité physique (représentations des seniors sur l’activité physique, identification des obstacles à la sortie et à la marche, liste des besoins et des demandes des personnes âgées, etc. L’enquête a révélé le souhait des personnes âgées de retrouver du lien social et elle a permis d’aboutir à des propositions concrètes d’aménagement du territoire. Les seniors interrogés se sont révélés tout à fait favorables au coaching personnalisé à destination des personnes les plus sédentaires. Ce dernier pourra d’ailleurs évoluer petit à petit en un coaching collectif (promoteur de lien social) au fur et à mesure de l’accroissement des capacités physiques des participants. Des consultations citoyennes ont aussi été mise en place avec les commerçants et le milieu associatif du quartier afin de valider le tracé du parcours.

C. C. : Quelle définition donnez-vous au coaching personnalisé ?

D. B. : Il s’agit d’un accompagnement physique et sportif proposé aux seniors autonomes mais sédentaires habitant le quartier St Roch. Il permet d’évaluer les capacités physiques (tests physiques) et différents indicateurs psychosociaux (questionnaires psychométriques). En fonction des besoins et des objectifs définis par le coach avec le senior, des séances individuelles sont programmées (marche, tai chi, gym…). Au bout de quelques séances, le coach peut proposer aux seniors de marcher en petits groupes avec d’autres seniors coachés afin de créer du lien social entre les participants.

C. C. : La méthodologie du coaching a-t-elle fait l’objet d’une étude plus approfondie ?

D. B. : Un test de la méthode du coaching personnalisé a été réalisé. Ainsi, une dizaine de seniors sédentaires appartenant à d’autres quartiers niçois que St Roch ont été recrutés afin d’évaluer les effets du coaching, définir les modalités de recrutement des participants, lister les obstacles à la participation et définir les formes de communication liées au projet. Cette étude de faisabilité a permis de voir que la procédure de recrutement des seniors est assez longue et qu’il est parfois difficile de fidéliser les participants. Pour cela, les besoins en coachs doivent être repensés.

C. C. : Quels effets sur les participants ?

D. B. : Les effets du coaching sur les seniors recrutés ont été positifs : moins d’essoufflement, moins de fatigue lors de l’effort, marche plus rapide, parcours de plus en plus long, moins de courbatures post-séances, plus de confiance en leurs capacités et moins peur de tomber. Les deux retombées les plus importantes sont l’augmentation de l’autonomie, étant donné que les seniors coachés marchent à présent sans coach et le lien social puisqu’après le coaching certains participants se sont retrouvés entre eux.

C. C. : Quels sont les objectifs d’un tel programme de promenade ?

D. B. : Trois principales visées ont été assignées au Projet 4S : encourager les seniors à sortir de chez eux, pratiquer une activité physique ; créer ou recréer du lien social ; redonner confiance aux personnes âgées. En offrant aux seniors de St Roch la possibilité de se déplacer sur un parcours de marche adapté à leurs capacités et répondant à leurs besoins, nous espérons leur permettre de redécouvrir la vie locale de leur quartier (commerce, association …). A terme, il vise à apporter des bénéfices multiples : une meilleure santé ; le capital social du quartier va progresser, des réseaux vont se développer, l’image du quartier a évolué (plus dynamique, plus de relations sociales) ; les personnes âgées ont une attitude plus positive envers leur milieu de vie, leur qualité de vie a augmenté. Nous espérons ainsi favoriser le maintien à domicile des seniors.

C. C. : Quelle est la communication mise en place pour faire connaître aux seniors ce parcours ?

D. B. : Plusieurs types de communication vont être organisés : un fléchage du parcours au sol avec un logo 4S tous les 10 mètres le long de celui-ci ; une conférence de presse/inauguration du parcours de marche avec le Maire, Christian Estrosi, et moi-même ; un grand panneau sur la place St Roch décrivant le parcours et le Projet 4S ; un courrier d’information destiné aux professionnels de santé de St Roch ; des affiches et tracts décrivant le projet et le tracé du parcours pour les commerçants, auxiliaires de vie et professionnels de santé du quartier ; un article inséré dans Nice Expression et Info seniors.

C. C. : Comment allez-vous inciter les seniors du quartier St Roch à emprunter ce parcours ?

D. B. : Les seniors ainsi que toutes les personnes à mobilité réduite pourront accéder librement au parcours de marche qui relie les lieux publics et les commerces du quartier St Roch entre eux. Les opérations de communication décrites ci-dessus les encourageront à participer à l’évaluation et au coaching personnalisé.

C. C. : Pourquoi avoir choisi ce quartier ?

D. B. : St Roch, à l’Est de Nice, semblait idéal pour cet aménagement de par ses spécificités : mixité sociale et intergénérationnelle, passage du tramway, rénovations prévues, présence d’un EHPAD, d’un CLIC (Centre Local d’Information et de Coordination) et d’associations de soutien à domicile. Ce quartier compte 4 000 seniors de plus de 65 ans.

C. C. : Ce genre de projet n’est mesurable qu’à partir d’une « image placébo ». Pour ce faire, vous avez choisi un quartier témoin pour réaliser l’évaluation du parcours 4S. Sur quelle base ?

D. B. : Le quartier Nice Nord présente de nombreuses concordances avec celui de St Roch. Tout comme ce dernier, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans est de 20 à 22 %. D’autre part, il s’agit également d’un quartier très accessible avec le passage du tramway et la présence d’un pôle universitaire (faculté des sciences Valrose). Le quartier Nice Nord a donc été choisi pour sa comparabilité avec celui de St-Roch en termes de population et de services.

C. C. : Comment va se passer cette évaluation ?

D. B. : Elle sera réalisée avant la mise en place du coaching, après trois mois de coaching et six mois après le lancement du projet. Une heure sera consacrée à chaque senior participant. Elle permettra d’effectuer des tests d’aptitude physique afin de quantifier les effets principaux et combinés d’un parcours de marche urbain et d’un coaching personnalisé pour favoriser l’activité physique et la qualité de vie de seniors. Les participants seront des personnes âgées autonomes mais sédentaires de plus de 60 ans recrutées auprès du milieu associatif et du CCAS. L’expérimentation se basera sur une comparaison entre trois groupes : deux évolueront dans un environnement adapté, c’est-à-dire avec le parcours de marche les personnes coachées (trente seniors) et les non-coachées (trente) et un autre groupe sera constitué de personnes non coachées (trente) dans un quartier dépourvu d’aménagement, c’est-à-dire sans parcours de marche : Nice Nord.

C. C. : Quels sont les critères d’évaluation ?

D. B. : Pour chacun des objectifs du projet, un ou plusieurs critères d’évaluation seront retenus : encourager les seniors à sortir de chez eux et pratiquer une activité physique en identifiant et quantifiant leurs sorties sur la base d’un questionnaire et en évaluant l’état de leur santé suite à la pratique d’une activité physique (coaching + parcours / parcours seul / rien du tout) sur la base de tests physiques ; créer ou recréer du lien social en évaluant le niveau de socialisation des participants par rapport à leur relation avec d’autres seniors et avec les commerçants du quartier à partir d’entretiens semi-directifs envers la population et les commerçants du quartier, complété par un questionnaire ; redonner confiance aux personnes âgées en évaluant l’attitude des seniors par rapport à leur vieillissement et la perception des stéréotypes relatifs aux capacités physiques des seniors sur la base d’entretiens et de questionnaires.

C. C. : Cette évaluation servira également à connaître les fruits de cette opération. Si le succès est au rendez-vous, allez-vous l’étendre à d’autres quartiers ?

D. B. : Les indicateurs énumérés ci-dessus nous permettront d’évaluer et de quantifier les éventuels bénéfices apportés par l’aménagement et par le coaching à la population du quartier. D’autre part, si le projet s’avère positif pour la population du quartier St Roch, il est envisageable qu’il soit étendu à d’autres quartiers niçois.

C. C. : D’autres villes observent-elles votre projet ?

D. B. : 4S a reçu un accueil très favorable lors de la présentation que j’ai faite lors du colloque du 15 septembre 2011 « Développer la marche en ville : mobilité, santé, sécurité du piéton », organisé par le Ministère de la santé et le Certu. De nombreuses collectivités locales étaient présentes lors de cette journée. En outre, au cours de l’année 2011, l’article « Comment adapter l’environnement pour favoriser la marche des seniors ? » (étude qualitative publiée dans la revue Santé Publique 2011, volume 23, n°5) a été rédigé par l’équipe travaillant sur le Projet 4S.

C. C. : La presse donnant souvent un écho négatif aux finances des collectivités locales, comment financez-vous le Projet 4S ? Et quelle est la répartition de ce financement entre les différents acteurs ?

D. B. : La direction de la Santé de la ville de Nice est porteuse du Projet 4S dont le coût total est de 413 050 euros. Elle a reçu une subvention pour le projet de 57 000 euros, de l’ARS PACA, échelonnée sur trois ans : de 2010 à 2012. Cette aide nous a été accordée dans le cadre de l’appel à projets actions innovantes. D’autre part la Mairie de Nice a financé le projet 4S à hauteur de 45 800 euros et la Communauté Urbaine Nice Côte d’Azur (nouvellement Métropole Nice Côte d’Azur depuis janvier 2012), a hauteur de 310 250 euros.

C. C. : Et les acteurs du secteur de l’assurance les avez-vous contactés ? Si non pourquoi ?

D. B. : Les assureurs n’ont pas été contactés car nous ne pensions pas qu’ils pourraient être intéressés par notre projet.

 Extrait du CAPA Hebdo N°5 du 3 Février 2012