Marie Kratz, professeur à l’ESSEC Business School et directrice du CREAR (Centre de Recherche Ecofinancière et Actuarielle sur le Risque), partage ses réflexions sur la manière dont l’intelligence artificielle refondra la profession actuarielle.

Nous avons tous vécu ces mésaventures mineures, voire majeures dans la vie – votre vélo est volé, nous avons un accident de voiture, vous laissez tomber votre ordinateur ou, pire encore, vous vous réveillez un matin et trouver le salon inondé. Et nous avons tous été témoins de grandes catastrophes naturelles dans l’actualité. La caméra suit les victimes, certains se considèrent chanceux, d’autres sont submergés d’émotions de perdre leurs biens durement gagnés ou leurs proches – tous en attente des complications qui viendront, notamment financières.

C’est là que la compagnie d’assurance entre en action. Et l’un des principaux enjeux de la relation service-client, aussi. En règle générale, l’industrie de l’assurance a mauvaise réputation concernant sa lenteur dans le suivi des réclamations, les erreurs dans l’évaluation des dommages et les montants payés – avec pour résultat que l’un des principaux facteurs de fidélisation des clients aujourd’hui est la capacité à se rapprocher des clients et à offrir un service personnalisé. L’intelligence artificielle devient, pour ainsi dire, au service de l’intelligence émotionnelle.

Petite sœur plutôt que grand frère

C’est là que l’Intelligence Artificielle (IA) peut vous aider. Le Professeur Marie Kratz estime qu’elle jouera un rôle fondamental dans les moments critiques auxquels la victime peut être confrontée – une analyse rapide de la situation et donc un calcul efficace des primes et la rédaction des contrats. Mais ce n’est pas tout. Marie Kratz affirme que l’utilisation d’IA facilitera grandement l’analyse des accidents, des catastrophes et des dommages causés par eux. En effet, les assureurs des cultivateurs aux États-Unis utilisent déjà l’intelligence artificielle pour analyser l’exposition au risque avant la signature des contrats ainsi que les montants à payer lorsque les agriculteurs font une demande. La même approche, utilisant des images satellites, peut être utilisée pour évaluer les dommages causés par les inondations, assurant ainsi avec précision le calcul des dégâts causés aux terres, aux cultures et aux biens.

Mais les satellites ne font pas tout. L’intelligence artificielle peut être également utilisée à plus grande échelle comme avec Allianz, un groupe d’assurance de premier plan, qui a décidé d’aller de l’avant avec un projet pour déterminer le montant des dommages causés à partir des photographies prises sur le site d’un accident de voiture. La société suisse AXA Winterthur propose déjà à ses plus jeunes assurés une réduction des primes s’ils acceptent d’installer une boîte noire dans leur voiture qui enregistre fidèlement leurs habitudes de conduite, les données collectées étant utilisées pour mieux fixer le prix de la protection. Depuis sa création, RiskLab-ETH de Zurich a entrepris un projet de recherche en science des données sur les prix des assurances sur le sujet au nom d’AXA Winterthur.

D’autres compagnies d’assurance doivent mettre en œuvre de telles méthodes, déclare Marie Kratz – à tous les niveaux de l’organisation dans ses liens avec ses clients. Les géants – AXA et Allianz – ont déjà commencé à investir massivement dans le domaine des services assistés par IA dans ce qu’elle décrit comme l’un des principaux enjeux pour les compagnies d’assurance dans les années à venir.

Méfiez-vous des géants

Les géants d’Internet tels que Google, Apple, Facebook et Amazon constituent des concurrents potentiels aux compagnies d’assurance dans la course à l’utilisation de l’intelligence artificielle, en particulier dans le développement de réseaux de profils similaires pour l’assurance automobile, par exemple. Bien qu’il y ait peu de preuves suggérant que les géants ont pris la route de l’assurance automobile à l’aide d’IA, la taille de leurs bases de données peut facilement leur permettre de le faire, tout comme ils leur ont permis d’utiliser des données pour déterminer les profils d’utilisateur et d’affichage de produits ciblés. C’est seulement en développant une valeur ajoutée en termes de service à la clientèle, ajoute le professeur Marie Kratz, que les compagnies d’assurance peuvent survivre et se développer.

Le retour des « briseurs de machines » ?

Reste-t-il encore une place pour les humains ? La question a toujours été dans l’esprit – et les remontrances – des hommes face à la révolution technologique. En témoigne la lutte des luddistes ou « briseurs de machines » lors de la révolution industrielle britannique, qui ont détruit des usines et des machines en protestation, , et dont beaucoup d’entre eux ont été exilés[t1]  ou pendus. Il est peu probable que les assureurs se heurtent aujourd’hui à dessuppressions d’emplois ou, heureusement, à une telle répression réprimandes [t2] face à l’intelligence artificielle. Le professeur Marie Kratz souligne que les interfaces homme-machine se développeront autant en interne – en matière de gestion – que de façon externe, en termes de relations clients. Cela implique des initiatives de formation de grande envergure pour le personnel des compagnies d’assurances. Seuls des postes répétitifs à faible valeur ajoutée tels que la comptabilité et le suivi étant supprimés, et non pas – il convient de le noter – des domaines tels que l’interprétation des données et des résultats.

Cela dit, il n’y a eu aucune étude réelle qui fournit des chiffres précis concernant la perte d’emplois liée à l’introduction de l’IA dans l’assurance, bien qu’il soit sûr que certains devront être supprimés. Cependant, alors que certains vont disparaître, d’autres vont changer et d’autres seront encore créés. En effet, au niveau de l’enseignement supérieur et de l’enseignement professionnel, les programmes de diplômes et d’études des actuaires ont déjà commencé à inclure le domaine des sciences de l’information, bien qu’il y ait encore une certaine confusion quant à la distinction entre les « data scientist » et les statisticiens. Un signe évident que le champ est dans une période de transition. Le professeur Marie Kratz pense que si la définition et les attentes attribuées aux professions dans le domaine des assurances changeront radicalement au cours des prochaines années, il n’y aura pas de réduction importante des emplois – dans les assurances ou dans d’autres industries de service – alors que la valeur ajoutée du travail humain sera recherchée de plus en plus. Her thoughts are in line with a recent OECD study that concludes that 9% of the jobs are at risk, while 25 to 50% will have to change in their profile[1]. Sa réflexion est compatible avec une récente étude de l’OCDE qui conclut que 9% des emplois sont menacés ,alors que 25 à 50 % devront changer de profil.

Nous faisons confiance aux robots – les humains, c’est une autre question

L’un des aspects de l’utilisation de l’intelligence artificielle qui suscite une préoccupation est celui de la cybercriminalité. La menace existe déjà, mais va croître avec l’augmentation de l’utilisation des ordinateurs et des robots. Pour le professeur Marie Kratz, la menace à laquelle il faut faire face est davantage la question de savoir comment la direction et les décideurs – avec peu de perspectives ou de compréhension de l’outil – vont l’utiliser comme  boîte noire toute-puissante pour gérer leur entreprise et son offre. Dans cette optique, les initiatives de formation à la gestion doivent inclure les dimensions scientifiques et techniques des produits ou services qu’ils vendent.

Les escroqueries d’assurance ont également existé et existeront à l’avenir – bien que sous une forme différente. Cependant, Marie Kratz affirme que l’intelligence artificielle permet également de détecter plus facilement la fraude à l’assurance. Pour les banques, l’utilisation d’outils IA a déjà fait des incursions dans la lutte contre la fraude par carte de crédit avec les effets sur les compagnies d’assurance qui considèrent maintenant le cyber-risque comme quelque chose contre lequel il faut vous assurer. Ici aussi, plusieurs projets de recherche ont vu le jour, y compris le projet NTU CyRIM de Singapour avec le secteur de l’assurance qui a été impulsé par le MAS (Monetary Authority Supervision – Singapour) ou Cambridge-Lloyd’s qui a réussi à modéliser un tel risque.

Robots et hommes: imperfection commune 

Le risque peut également provenir du robot lui-même. Il n’y a pas de risque zéro d’erreur – d’autant que les outils sont faits par l’humain en premier lieu. Cependant, le risque évident est que, mal programmée, une machine peut générer des informations et des problèmes plus rapidement que l’humain. Les machines peuvent, tout comme les humains, faire des erreurs dans l’interprétation des données, faussant les résultats. Cela signifie que si les résultats obtenus décrivent correctement les données – et peuvent en effet aider à l’analyse d’un temps passé ou présent – ils ne possèdent aucune valeur prédictive.

En effet, c’est toute une question en soi – comment prévoir correctement l’avenir ? Quelque chose, d’ailleurs, que ni l’homme ni la machine ne peuvent encore faire avec une grande précision. Dans l’intelligence artificielle, une façon de tenter de maîtriser ce défi consiste à introduire du bruit [t1] aléatoire dans les données pour vérifier la solidité des résultats et éviter qu’ils ne soient «trop parfaits» et trop éloignés des comportements rapides – et parfois changeants – des humains. En effet, selon le professeur Marie Kratz, l’un des grands problèmes dans la prédiction des comportements est le fait qu’ils se modifient eux-mêmes en fonction des changements dans l’environnement pour produire un changement rapide de la conduite ou de la performance. C’est une chose délicate à saisir en toute circonstance – pour les hommes comme pour les machines.

Source

Amae Martin
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